vendredi 4 août 2017

La "réfutabilité scientifique". (Prolongements).





(L'on pourrait croire, à grand tort, que c'est le Professeur Didier Raoult, le n°1 mondial dans le domaine de la recherche sur les maladies infectieuses transmissibles qui pourrait être jugé par l'utilisation de nos propos contre Sigmund Freud. Or, il est tout à fait possible de démontrer qu'au contraire de Sigmund Freud, le Professeur Didier Raoult a toujours respecté et respecte encore aujourd'hui toutes les règles épistémologiques d'une méthodologie scientifique rigoureuse, telles qu'elles furent définies par Karl Popper. Y compris dans son centre de recherche marseillais, jamais le Professeur Raoult n'a travaillé en "héro", ou en (Robinson Crüsoé), en isolant les recherches menées dans son laboratoire de tout risque de contrôle par ses pairs, de toute évaluation, mais très précisément le contraire. Ce que fait le Professeur Raoult se situe bien aux antipodes de la "science privée", et n'a par conséquent rien à voir avec les prétendues méthodes scientifiques d'un Sigmund Freud).


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C'est toujours une erreur que de considérer que Popper aurait proposé que les théories scientifiques puissent être réfutées avec certitude.

Karl Popper ne peut pas être intégré dans les rangs des "falsificationnistes naïfs". En effet, dans son livre, le "Réalisme et la science", il écrit, pages 3 à 4, ceci : 

"J'ai toujours soutenu, et ce dès la première édition de Logik der Forschung (1934), et même dans mon ouvrage antérieur, Die Beiden Grundproblème der Erkenntnistheorie (écrit entre 1930 et 1933, mais publié seulement en 1979),  qu'il est absolument impossible de prouver de manière décisive qu'une théorie scientifique empirique est fausse. En ce sens-là, de telles théories ne sont pas falsifiables : "Tout système théorique peut être protégé de diverses manières contre une falsification empirique" ; "il est toujours possible de trouver certains moyens d'échapper à la falsification, par exemple en introduisant une hypothèse auxiliaire ad hoc (...)" ; "On ne peut jamais réfuter une théorie de manière concluante"." (In : Karl Popper. Le réalisme et la science. Editions Hermann, Paris, 1990, pages : 3 et 4).

Explications : 

Citons pour commencer, Karl Popper, dans "La logique de la découverte scientifique", Editions Payot, Paris, 1973, page 29, où il résume les différentes étapes d'une mise à l'épreuve scientifique : 

"Nous pouvons, si nous le voulons, distinguer quatre étapes différentes au cours desquelles pourraient être réalisée la mise à l'épreuve d'une théorie. Il y a, tout d'abord, la comparaison logique des conclusions entre elles par laquelle on éprouve la cohérence interne du système. En deuxième lieu s'effectue la recherche de la forme logique de la théorie, qui a pour objet de déterminer si celle-ci a les caractéristiques d'une théorie empirique ou scientifique ou si elle est, par exemple, tautologique. Il y a, en troisième lieu, la comparaison de la théorie à d'autres théories, dans le but principal de déterminer si elle constituerait un progrès scientifique au cas où elle survivrait à nos divers tests. Enfin, la théorie est mise à l'épreuve en procédant à de applications empiriques des conclusions qui peuvent en être tirées".

Comme on le voit, Karl Popper distingue quatre étapes et non trois, pour la mise à l'épreuve des théories. Nous avons laissé de côté la comparaison logique des conclusions où est éprouvé la cohérence interne du système parce qu'elle nous semble intégrée à la réfutabilité logique dans son ensemble. Toutefois, cette première étape est indispensable, comme s'en justifie Karl Popper : 

"(...) C'est la première des conditions auxquelles doit satisfaire tout système théorique, qu'il soit ou non empirique. (...) l'on évaluera l'importance de la condition de cohérence si l'on réalise qu'un système incohérent ne nous fournit aucune information puisque nous pouvons en dériver tout conclusion qui nous satisfait. Aucun énoncé ne se caractérise donc comme incompatible ou comme déductible : tous les énoncés peuvent être dérivés d'un tel système. Un système cohérent, au contraire, divise en deux groupes l'ensemble de tous les énoncés possibles : ceux avec lesquels il est en contradiction et ceux avec lesquels il est compatible. Voilà pourquoi la cohérence est la condition la plus générale à laquelle doit satisfaire un système - qu'il soit empirique ou non empirique - s'il doit être d'un usage quelconque. Outre la cohérence, un système empirique doit satisfaire à une condition supplémentaire : il doit être falsifiable. Les deux conditions, sont dans une large mesure analogues. Les systèmes ne satisfaisant pas à la condition de cohérence sont incapables de différencier deux énoncés pris dans l'ensemble des énoncés possibles. Les systèmes ne satisfaisant pas à la condition de falsifiabilité sont incapables de différencier deux énoncés quelconques pris dans l'ensemble des énoncés de base empiriques possibles." (K. Popper, ibid, pages : 90 - 91).

Les deux conditions étant dans une large mesure analogues selon Karl Popper, nous nous limiterons donc aux trois conditions de réfutabilité scientifique qui suivent dans cet article.

Comprendre le critère de démarcation de Popper, (la réfutabilité), c'est toujours en entrevoir trois niveaux, (1. logique, 2. empirique, et 3. méthodologique) ; car une théorie ne peut être scientifique, uniquement si elle est logiquement réfutable, (ce serait, comme on va le voir, absurde),  contrairement à l'idée fausse et pourtant la plus largement répandue au sujet de ce critère de démarcation.

Une théorie est scientifique, si et seulement si, elle est réfutable selon ces trois niveaux, lesquels sont tous nécessaires, mais jamais suffisants : il est logiquement impossible qu'ils soient suffisants ou "complets" (...). (Pour une revue plus résumée de cette problématique, voir notre article, ici).


1. La réfutabilité logique

D'une théorie universelle stricte, (donc ne précisant aucune coordonnée spatio-temporelle), il est toujours possible d'inférer par déduction logique un énoncé singulier susceptible d'entrer en contradiction avec elle ; un énoncé appartenant, de prime abord, à la sous-classe des énoncés singuliers exclus ou "interdits" par la théorie, sachant qu'il existe une autre sous-classe d'énoncés singuliers déductibles qui eux sont "permis" par la théorie. 

Ces deux sous-classes d'énoncés singuliers déductibles d'une théorie universelle, constituent ce que K. Popper nomme sa "base empirique". Il précise ensuite ce fait crucial : pour qu'une théorie universelle soit réfutable, il faut impérativement que sa base empirique comporte une sous-classe d'énoncés singuliers interdits qui ne soit pas vide. (Ces énoncés a priori "interdits" par une théorie universelle ou qu'elle "exclut" sont appelés par Popper les "falsificateurs virtuels" de la théorie)

Cependant pour Popper cette notion de "base empirique" se distingue de celle de "contenu empirique" d'une théorie universelle puisque seule la sous-classe des énoncés singuliers a priori interdits par une telle théorie sont susceptibles de pouvoir fournir une information sur son contenu empirique, à la condition qu'il soit possible de soumettre l'un de ces énoncés interdits à des tests. L'on aborde ici, le problème de la réfutabilité empirique.

Pour résumer, une théorie "logiquement réfutable", est une théorie à partir de laquelle il est possible d'imaginer, d'entrevoir, d'anticiper comment, dans les faits, elle pourrait être démontrée fausse, ou imprécise, par quel cas particulier, exprimable sous la forme d'un énoncé singulier.

Par exemple, de la théorie "tous les cygnes sont blancs", nous pouvons déduire l'énoncé singulier ou particulier, "il y a ici, à l'endroit k, un cygne non blanc" ; et nous pouvons aussi déduire l'énoncé singulier suivant, "il y a ici, à l'endroit k, un cygne blanc", lequel est un énoncé permis par la théorie. Le premier énoncé, s'il était confirmé lors d'un test, pourrait réfuter la théorie, (il permettrait par contre sa corroboration, s'il était infirmé) ; et le second, même observé un nombre n de fois, n'apporterait aucune information supplémentaire sur ce que dit déjà la théorie : il n'apporterait aucune augmentation au contenu de la connaissance déjà acquise sur la couleur des cygnes.

Si l'on s'arrête à la réfutabilité logique, en effet, celle-ci est "certaine" : l'on peut toujours déduire logiquement des énoncés singuliers contradictoires d'une théorie universelle stricte.

Cependant, la science, pour accomplir sa tâche de description (et par conséquent de classification) de faits réels, ne peut évidemment, et c'est inévitable, se contenter de ce niveau de réfutabilité ; car, comme nous le verrons plus bas, il ne suit rien d'observable d'un énoncé universel au sens strict, sans conditions initiales d'observation : sans ces autres énoncés singuliers que sont les conditions initiales, aucun individu ne pourrait même affirmer qu'il a vu "à l'endroit k" un cygne blanc. 

La théorie (absurde) suivante : "tout est blanc, ou tout n'est pas blanc" ne permet de déduire strictement aucun énoncé particulier qui puisse en démontrer la fausseté : tout est permis par cette théorie, ou aucun énoncé particulier n'est a priori exclu par cette théorie (la sous-classe de ses falsificateurs virtuels est vide). Cette théorie est donc logiquement irréfutable, et ne donne strictement aucune information, sur.... rien.

L'affirmation qu'une théorie universelle stricte dépendrait, indubitablement (...) et a priori, donc prima faciae, (ou de prime abord), avant tout test ou toute expérience empirique, d'un déterminisme strict, excluant lui-même tout hasard (et/ou tout non-sens), la rend également complètement irréfutable logiquement si tous les faits singuliers qui peuvent en être déduits sont considérés comme toujours interprétables a priori (ou prima faciae), (ou même post faciae, à posteriori), à la lumière de ce qu'énonce cette théorie, y compris si ce sont des faits qui pouvaient potentiellement la réfuter. 

En somme, si l'on prétend qu'une théorie universelle stricte dépend d'un déterminisme prima faciae absolu lequel lui permet par exemple de tout expliquer, (y compris la chose et son contraire comme en psychanalyse), et sans la moindre place pour le hasard, pour le non-sens, donc pour la moindre petite erreur possible ; alors tout recours à l'expérience, à une authentique et valide épreuve du Réel par l'intermédiaire de tests est non seulement inutile, mais en outre impossible

Elle est impossible, parce que comme le démontre Karl Popper dans "L'univers irrésolu. Plaidoyer pour l'indéterminisme", un expérimentateur qui se doterait d'une telle théorie, (associée à une version ontologique aussi aprioriste et laplacienne du déterminisme), pour tenter de réussir un projet de description, ne pourrait jamais satisfaire à ce que Popper nomme, "le principe de responsabilité renforcé". Voir, à ce sujet les démonstrations imparables de Karl Popper, dans le livre cité, éditions Hermann, Paris, 1984, pages : 10 à 14.

La réfutabilité logique est donc, certes, la première étape incontournable, mais il faut ensuite pouvoir échafauder des conditions initiales de testabilité d'un énoncé particulier déduit d'une théorie universelle et qui soit exclu par elle.

La réfutabilité logique est donc évidemment nécessaire mais insuffisante pour nous livrer une évaluation de la correspondance avec les  faits ou au Réel, d'une hypothèse. En conséquence, elle ne peut, à elle seule, servir de critère de démarcation entre les énoncés qualifiables de scientifiques, de tout autre type d'énoncés ; y compris les énoncés métaphysiques imaginés dans le contexte où le giron d'une science déjà constituée ou en cours de construction par des scientifiques ou des intellectuels. 

L'on ne peut se limiter à ce niveau de compréhension de la notion de réfutabilité, non seulement pour comprendre l'exigence de scientificité, mais encore pour comprendre ce qu'a toujours voulu dire Karl Popper sur le critère de démarcation entre science et métaphysique d'une part, et, d'autre part, sur son applicabilité dans le travail réel des scientifiques, et ce, dès "La logique de la découverte scientifique", ouvrage publié en 1936.


2. La réfutabilité empirique

Comme nous  le comprenons à partir de la section précédente, il ne peut y avoir de théorie universelle stricte qui soit empiriquement réfutable, sans qu'elle soit d'abord logiquement réfutable. 

Mais que signifie "empiriquement réfutable"

Cela signifie, qu'il est possible de soumettre à des tests empiriques une "hypothèse falsifiante" déduite de la théorie universelle que l'on souhaite ainsi tester : une théorie "empiriquement réfutable", est une théorie qui peut subir l'épreuve des faits, du Réel, du concret.

Autrement dit, des tests, sont réellement techniquement possibles, si l'on peut dire. Mais il existe des cas, où un énoncé est logiquement réfutable mais impossible à tester : pouvoir le faire nécessiterait des avancées dans des domaines divers comme la technologie ou les mathématiques.

Pour comprendre ce problème, le plus simple est sans doute de prendre l'exemple d'une théorie universelle stricte comme celle-ci : "tous les hommes sont mortels" (évidemment, dans cet exemple, l'irréfutabilité empirique n'est pas liée à des problèmes d'avancée technologique ou mathématique, et aucune théorie mathématique ou autre, ni même aucun progrès technologique ne pourront résoudre le problème de la "vérification" de la vie éternelle ; car le résoudre impliquerait aussi la résolution (impossible) de ceci : pouvoir vérifier avec une absolue précision, "tout l'infini". Or une telle "vérification" est déjà absurde en elle-même, puisqu'elle revient à supposer le caractère parfaitement "fini" de "l'infini"...(donc de ce qui est "éternel"). Bref, un tel projet, est évidemment une absurdité,  et il a déjà échoué, dans les termes et dans les faits, avant d'avoir pu commencer) :

De cet énoncé, seul l'énoncé particulier, "il y a ici, à l'endroit k, un homme immortel", est susceptible de réfuter la théorie ; mais le problème est sans solution puisque l'immortalité renvoie à l'infini, et qu'aucun expérimentateur ne pourrait vivre assez vieux pour vérifier cet énoncé singulier. En conséquence, la théorie "tous les hommes sont mortels", n'est pas empiriquement réfutable parce que non techniquement testable, (bien qu'elle soit logiquement réfutable), et elle ne peut donc être qualifiée de scientifique

Il est donc nécessaire qu'une théorie universelle stricte soit aussi empiriquement réfutable : en quoi une telle théorie qui ne pourrait être testée empiriquement serait-elle utile à l'accroissement du  savoir scientifique, c'est-à-dire à l'augmentation du pouvoir de description de ce savoir, également de son pouvoir d'explication et de prédiction, (donc aussi à l'amélioration du contenu d'une classification de phénomènes donnée), puisque sans la possibilité  d'effectuer des tests visant à la mettre l'épreuve nous ne pourrions justement en connaître les limites de son contenu, et par conséquent son contenu descriptif ? 

Mais un individu pourra affirmer tant qu'il le souhaite que "tous les cygnes sont blancs" parce qu'il a vu des milliers de cygnes blancs, ou que "tous les êtres humains sont dotés d'un inconscient psychanalytique" parce qu'il aura trouvé un grand nombre de confirmations observées à partir de sa théorie ; s'il ne propose pas des conditions initiales d'observation à partir desquelles l'on pourrait tester la possibilité d'un cas contradictoire ou exclu par la théorie, la défense de sa théorie ne pourra être que dogmatique, voire sectaire, ou encore relever de la foi religieuse, mais certainement pas de la Science. 

La vraie Science exige des preuves indépendantes, et les biais de confirmation d'hypothèses n'en sont pas

En effet, et comme le souligna encore Karl Popper, dans La logique de la découverte scientifique : seuls les énoncés exclus par une théorie universelle peuvent nous renseigner sur son contenu empirique et peuvent "nous en dire quelque chose" ; les énoncés permis a priori par la théorie, eux, ne nous disent rien sur son contenu : à quoi cela sert-il de "savoir" que l'on aurait vu des millions de cygnes blancs pour avoir une information sur le contenu réel de la théorie universelle : "tous les cygnes sont blancs" ? A rien. Les confirmations toujours lisibles à la lumière d'une théorie de départ ne nous donnent jamais aucune information sur les pouvoirs descriptifs, explicatifs, et a fortiori prédictifs réels de cette théorie, seuls les énoncés a priori exclus par une théorie sont en mesure de fournir cette information, ce qui explique que : 

La réfutabilité empirique est la condition sine qua non par laquelle l'hypothèse scientifique formulée par une théorie universelle stricte a une chance d'offrir la possibilité d'interpréter de manière valide des "signes de réel".

Nous ne pouvons croire qu'une théorie est fausse (mais jamais fausse avec certitude) ou s'approche de la vérité que si elle a justement subit une épreuve de vérité, laquelle ne peut que consister à tenter de la mettre en échec, en utilisant ses limites qui en soient d'abord logiquement déductibles, limites exprimables sous la forme d'énoncés singuliers de base ; et ensuite grâce à des tests qui "demandent" à ces hypothétiques limites d'être empiriquement observables mais de façon répétée et non accidentelle (soit par l'humain, soit indirectement par la machine), ce qui implique que :

La réfutabilité empirique ne peut jamais être suffisante, en elle-même, pour qu'on puisse qualifier une théorie de "scientifique"

Si l'on acceptait que ce soit le cas, sans que l'on admette l'existence d'institutions et de formations reconnues de manière officielle encadrant la recherche scientifique, et leur demandant de démontrer ne serait-ce que le caractère non-accidentel de leurs réfutations ou de leurs corroborations, (bref, de leurs découvertes), par conséquent de démontrer aussi le caractère objectif, impersonnel, et reproductible de manière contrôlée intersubjectivement de leurs travaux ; alors, ce serait la porte ouverte à la "science privée" et à tous les maux qui l'accompagne : le subjectivisme, le relativisme, le psychologisme, le dogmatisme, l'obscurantisme, et pour finir la destruction de la science, avec de manière concomitante, la possibilité de la fin du progrès social et humain...

L'on voit donc bien que s'arrêter au deuxième niveau de réfutabilité, la réfutabilité empirique, ne peut être ni suffisant, ni acceptable, que ce soit pour la science ou les nécessités du progrès des sociétés humaines.  

Il faut que la science soit contrôlée dans toutes ses méthodes et tous ses résultats et conclusions ; évaluée, à l'aide d'un "quid juris" aussi impersonnel et objectif que possible, lequel ne fonctionne pas sans un rationalisme critique dont l'usage doit être unanimement accepté par une communauté scientifique, et selon des critères objectifs eux aussi discutés et acceptés, lesquels doivent être fondés par une épistémologie elle-même reposant sur la logique, comme celle de Karl Popper. Bref, que ce soit en science, dans le domaine juridique, ou dans tout autre domaine où il s'agit de juger de l'adéquation de théories par rapport aux faits, il n'est jamais valide d'être "juge et partie". Or, il est rigoureusement impossible qu'un psychanalyste qui prétend que la situation du divan peut être un "laboratoire" de recherche pour la psychanalyse, puisse justement éviter d'être en permanence, juge et partie. Or, voici encore sans doute l'un des meilleurs exemple historique, celui de Sigmund Freud, où le prétendu "scientifique" organise, justifie presque de manière constante et à tous les niveaux le fait de pouvoir être "juge et partie", autrement dit en ne faisant rien, au contraire, pour ménager l'essentiel : l'indépendance dans toute possibilité de construction de la preuve :

Dans "Introduction à la psychanalyse", Ed. Petit Bibliothèque Payot, Paris, 1981, page 5 : 

"(...) et quant au résultat,  nous lui disons (au patient) que nous ne pouvons rien promettre, qu'il dépendra de la manière dont se comportera le malade lui-même, de son intelligence, de son obéissance, de sa patience (...)".

Page 6 : 

"Je vous montrerai que toute votre culture antérieure et toutes les habitudes de votre pensée ont dû faire de vous inévitablement des adversaires de la psychanalyse, et je vous dirai ce que vous devez vaincre en vous-mêmes pour surmonter cette hostilité instinctive".

Page 8 : 

"La conversation qui constitue le traitement psychanalytique ne supporte pas d'auditeurs ; elle ne se prête pas à la démonstration. (...) Quant aux renseignements dont l'analyste a besoin, le malade ne le donnera que s'il éprouve pour le médecin une affinité particulière ; il se taira, dès qu'il s'apercevra de la présence ne serait-ce que d'un seul témoin indifférent. (...) Vous ne pourrez donc pas assister en auditeurs à un traitement psychanalytique. Vous pouvez seulement en entendre parler et, au sens le plus rigoureux du mot, vous ne pourrez connaître la psychanalyse que par ouïe-dire. Le fait de ne pouvoir obtenir que des renseignements, pour ainsi dire, de seconde main, vous crée des conditions inaccoutumées pour la formation d'un jugement. Tout dépend en grande partie du degré de confiance que vous inspire celui qui vous renseigne."

Page 9 : 

"Et, maintenant, vous êtes en droit de me demander : puisqu'il n'existe pas de critère objectif pour juger de la véridicité de la psychanalyse et que nous n'avons aucune possibilité de faire de celle-ci un objet de démonstration, comment peut-on apprendre la psychanalyse et s'assurer de ses affirmations ? Cet apprentissage n'est en effet pas facile, et peu nombreux sont ceux qui ont appris la psychanalyse d'une façon systématique, mais il n'en existe pas moins des voies d'accès vers cet apprentissage. On apprend d'abord la psychanalyse sur son propre corps, par l'étude de sa propre personnalité. Ce n'est pas là tout à fait ce qu'on appelle auto-observation, mais à la rigueur l'étude dont nous parlons peut y être ramenée."



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La croyance  :

a. Elle peut être du domaine de la Foi. Et la Foi consiste à aimer une théorie sans preuve. (Avoir la Foi, c'est aimer sans preuve). La Foi est donc antinomique par rapport à la Science, mais pas incompatible. Par exemple, il faut que les scientifiques aient Foi dans la Vérité (certaine), la perfection, l'absolu, pour se sentir insatisfaits des meilleurs résultats scientifiques et ainsi toujours tenter de nouveaux tests pour en améliorer le contenu descriptif. Et, de cette manière, s'approcher d'encore plus près de la Vérité (certaine). Mais il s'agit bien d'une Foi nécessaire en la Vérité, c'est-à-dire que le scientifique, (et comme a sans doute souhaité le faire comprendre aussi Albert Einstein dans son livre "Comment je vois le monde"), doit cultiver une certaine "religiosité" dans son activité de recherche dès lors qu'il doit croire en la Vérité (certaine) et l'aimer (...), en étant cependant convaincu qu'il ne la verra ni ne l'atteindra jamais dans les faits.  La recherche scientifique exige donc du scientifique autant une Foi quasi-religieuse en la Vérité (certaine), qu'un scepticisme dynamique (et non dogmatique) vis-à-vis des théories qu'il a le mieux corroborées et des méthodes qu’il a utilisées. Si l'on tentait de résumer en quoi consiste "l'attitude scientifique", proposons qu'elle ne peut se passer de ces éléments : la Foi (en la recherche de la Vérité), laquelle peut toujours motiver le scepticisme dynamique, (Cf. K. Popper dans "Conjectures et réfutations), permettant de douter des résultats scientifiques pour les discuter  et les tester à nouveau. Ces discussions, contrôles et tests constituant à leur tour le rationalisme critique.

b. Elle peut relever du dogme. Ce domaine englobe évidemment celui de la Foi. C'est-à-dire que ses défenseurs affirment l'existence de faits sans pouvoir et/ou souhaiter fournir la moindre preuve : il se peut qu'une croyance exprimable sous la forme d'une théorie, soit réfutable au  premier niveau, (logique), mais que ses défenseurs refusent obstinément et parfois violemment que l'on ose tenter le moindre test pour éprouver le niveau de correspondance avec les faits, donc de vérité (ou de fausseté) de leur théorie...

c. Elle n'est que du domaine de la persuasion individuelle, et reste ainsi au niveau du "Monde 2", le monde des idées personnelles, subjectives, comme le comprend Karl Popper. La science privée du père fondateur de la psychanalyse, l'isolement "héroïque" du prétendu scientifique que fut Sigmund Freud, son refus exprimé sans aucune équivoque de tout recours à la méthode expérimentale, est sans aucun doute l'une des plus flagrantes illustrations de ce "Monde 2" fallacieusement érigé au niveau du "Monde 3" de la connaissance objective par Freud et ses disciples fanatisés, monde de la conviction de plusieurs individus qu'une croyance en l'existence de certains phénomènes de la Nature (ou de la Nature humaine), le "Monde 1", est fondée sur des tests valides et répétables.

d. Elle est du domaine de la conviction collective, mais est forte d'un grand nombre de tests et de discussions sur l'acceptabilité de ces tests ainsi que des résultats qu'ils ont produits. Dans ce cas-là, si les croyances et tous les processus qui ont permis de les fonder ne sont pas encadrés par des institutions et contrôlés par des personnes dont les compétences et le travail sont reconnus, alors elles ne sont pas encore au stade de ce qu'il est permis de qualifier de "croyances scientifiquement fondées".

e. La croyance est aussi du domaine de la conviction collective, forte d'un grand nombre de tests et de discussions, comme précédemment, mais tous ces tests, toutes ces discussions ont été encadrés, contrôlés, et reconnus dans leur validité par des institutions et des gens formés et eux aussi institutionnellement reconnus comme compétents, ("habilités à diriger des recherches"). Ce n'est qu'à ce stade que la croyance humaine a une chance de pouvoir se dire "scientifiquement fondée". Ce genre de conviction collective (scientifique), qui n'est valable que jusqu'à ce qu'elle soit réfutée par de nouveaux tests, peut prendre le nom de "paradigme" (Thomas Khun). Mais contrairement à ce que proposait Khun, (critiqué par Popper et Lakatos sur ce point), le passage d'un paradigme scientifique à un autre, ne peut être "irrationnel" : les théories scientifiques ne sont pas incommensurables, et il est possible de les soumettre à des tests par l'intermédiaire de leurs conséquences déductibles. Ensuite, et maintenant contre Lakatos, deux programmes de recherche concurrents sur un même objet de recherche, peuvent toujours trouver des points d'achoppement ou de controverse, et par le biais de certains de leurs énoncés, subir une ou plusieurs expériences cruciales de falsification. C'est ce tout dernier point que contestait Lakatos à Popper, bien que ce dernier donna de multiples exemples dans l'histoire des sciences. Il semble qu'un des disciples de Lakatos, Ellie Zahar, ait finalement donné raison à Karl Popper. Quoiqu'il en soit, on a du mal à accepter comment deux programmes de recherche qui travaillent sur le même objet, ne puissent jamais trouver aucun moyen d'entrer en concurrence par des tests. Ceci nous semble logiquement impossible.

Et oui : un petit club d'amis, une secte (...), ou une partie de campagne entre gens de bonne compagnie ne peuvent être des contextes acceptables pour qu'une activité de recherche soit reconnue comme "scientifique" (cela paraît tout de même évident) ; même une réunion d'intellectuels de haut niveau et reconnus dans leurs domaines respectifs ne peut prétendre à l'accès à la scientificité si ses activités n'ont pu être encadrées, suivies, et contrôlées, selon des critères qui lui soient indépendants et institutionnels. 

La leçon est simple : ne fait pas de la science qui veut, y compris en groupe (et encore moins seul, de manière isolée, ou "privée", exactement comme le fit S. Freud) :

Tout individu qui projette de "faire science", ne peut éviter de s'inscrire dans une tradition de recherche qui le précède, d'en reprendre les tous derniers tests, et de montrer pourquoi les nouveaux tests qu'il propose sont inédits tout en étant déductibles des précédents (car personne ne pourrait accepter que l'on reproduise des erreurs déjà connues de la communauté, par exemple) ; ou bien si c'est une nouvelle science qu'il souhaite implanter dans la société, il lui faut l'ouvrir à la discussion critique dès les premières conjectures métaphysiques sur un objet de recherche possible, et ces conjectures métaphysiques ne peuvent être imaginées "ex nihilo", l'on doit bien entendu démontrer dans quelle tradition de connaissances elles s'enracinent...

Donc, d'une manière générale, nous ne pouvons dire que nous sommes fondés à croire, soit en la fausseté, soit en la proximité à la vérité d'une théorie quelconque que sur la base d'un certain type d'épreuves de vérité que cette théorie aurait subit. 

En l'absence de la possibilité d'échafauder ces épreuves de vérité, donc en l'absence de toute réfutabilité empirique d'une théorie, personne ne peut être raisonnablement fondé à croire, soit en la fausseté, soit en la proximité à la vérité d'une théorie ; et l'on est alors obligé de dire que l'on se trouve en présence d'une théorie sans fondement. (Sachant que ce qui "fonde" une théorie, ce sont les tests empiriques valides qu'elle a pu subir, et non le nombre de confirmations ou de biais de confirmations d'hypothèses toujours déductibles de sa formulation initiale). Par exemple, la théorie de l'inconscient telle qu'elle est envisagée depuis toujours en psychanalyse, est une théorie sans fondement, et en l'absence de la possibilité de tout test empirique extra-clinique répétable et contrôlable de manière intersubjective, personne ne devrait raisonnablement être fondé à y croire, sauf en affirmant avoir Foi en cette théorie.

Enfin, la réfutabilité empirique ne peut jamais être suffisante dans la vraie Science à cause du problème de l'imprécision des mesures. En effet, Karl Popper démontre dans "La logique de la découverte scientifique" pourquoi toute tentative de définir une mesure de quoique ce soit qui serait "parfaitement précise", est non seulement impossible, mais sombre dans une régression à l'infini. (Voir Karl Popper, "La logique de la découverte scientifique", Editions Payot, Paris, 1973; Chapitre 6, section 37 : "Domaines logiques. Notes sur la précision des mesures", page : 124).

Dans la vraie science, il y a, et il y aura toujours cet étrange paradoxe, directement lié à ce problème de la précision des mesures : le paradoxe, c'est que nous pouvons être certains, qu'à cause de ce problème, aucune créature vivante aussi intelligente et évoluée soit-elle, ni même aucune machine aussi sophistiquée soit-elle ne pourront jamais atteindre la définition et la réalisation du "parfaitement précis" dans un projet de mesure réel, (ou dans un projet de description du réel), ou de "l'absolu", du "certain" ; c'est pour toujours interdit par la logique. L'atteinte de la perfection, de l'absolu, de la certitude, ces idéaux métaphysiques dans l'imagination des chercheurs, et qui leur sont   nécessaires pour interroger encore leurs théories les mieux corroborées et les pousser à progresser, restera, ils peuvent en être sûrs et certains (et ils en sont conscients), toujours approchable, mais également toujours et à jamais hors d'atteinte. La quête de la Vérité (au sens de la vérité certaine), comme l'écrit Popper restera pour toujours une "Quête inachevée", c'est vraiment la seule certitude que nous pouvons avoir dans le domaine de la vraie Science.

Voilà pourquoi le jeu de la vraie science est un jeu logiquement infini, avec des tests "toujours renouvelés et toujours affinés" (Karl Popper, LDS), nourri par l'optimisme et les espoirs eux aussi infinis de ceux qui cherchent la Vérité. Un univers ouvert entre les mains de ceux qui veulent en affronter toute l'incertitude, tout l'indéterminisme, pas à pas, avec courage, honnêteté, et un travail autant collégial qu'acharné, en acceptant tous les dangers, toutes les difficultés, toutes les remises en questions, tous les échecs cuisants, toutes les réussites provisoires. 

Voilà ce qu'est la vraie Science : la plus extraordinaire, la plus utile, la plus grandiose, et la plus humaine de toutes les aventures que l'être humain ait justement a à assumer.

La vraie Science, n'est jamais finie, et ne peut jamais l'être. Elle n'est jamais "suffisante", et ne le sera jamais. Il n'y a que le dogmatisme, l'obscurantisme et le relativisme pour prétendre que la connaissance objective puisse avoir une fin. 

Cependant, il y a une contradiction funeste pour chacune de ces options, car elles croient toutes les trois se justifier à partir de la recherche et de l'amélioration de la sécurité du genre humain, dans sa "niche écologique". 

Le dogmatique (et l'obscurantiste) pense qu'un dogme "bien établi" offre le maximum de sécurité en proposant des "vérités inébranlables". Le relativiste pense aussi pouvoir trouver la sécurité en croyant que la vérité peut être relative à un cadre de référence donné, et qu'il n'est donc pas nécessaire de fournir les efforts requis par la recherche d'une vérité objective, laquelle, selon lui, n'existe pas ou est impossible à atteindre, puisque l'on ne peut, en autres arguments, atteindre la vérité absolue. Par conséquent la contradiction tient à ce qu'il est impossible pour l'une des trois positions de prédire l'avenir avec exactitude en pensant que les dogmes que l'on aurait "bien établis" se suffiraient définitivement à eux-mêmes, et qu'ils donneraient suffisamment de pouvoirs d'anticipation aux hommes sur le futur pour en assumer toutes les vicissitudes possibles. 

Dès lors, l'on comprend que ces trois positions sont donc toutes logiquement absurdes et en contradiction par rapport à la recherche et l'amélioration constante et infinie de la sécurité des hommes, et par suite de leur bonheur. Elles offrent surtout le "repos" et la "sécurité" dans le but de se dérober devant l'effort et la conscience de devoir assumer l'inévitable pour l'être humain : sa faillibilité, ou bien dans l'autre but de se protéger de toute remise en question devant les autres et de se découvrir finalement semblable à eux : nous pouvons nous tromper, et si nous voulons progresser, nous devons tenir compte de nos erreurs. 

L'Humanité n'a donc pas d'autres choix que ceux de l'optimisme, de la correction des erreurs, par "conjectures et réfutations", de la discussion rationnelle et critique, et de la non-violence. Il n'y aura donc jamais de sécurité ou de liberté qui nous soient définitivement acquises, et la solution la plus sûre, bien qu'imparfaite pour les améliorer, reste encore la recherche scientifique.
 

3. La réfutabilité méthodologique

C'est la dernière étape, indispensable, nécessaire, du critère de démarcation de Karl Popper. En quoi consiste-t-elle ? 

La première chose à saisir pour comprendre la réfutabilité méthodologique est assez simple : si des scientifiques peuvent formuler une théorie empiriquement réfutable, c'est-à-dire, comme nous l'avons vu dans la section précédente, une théorie à partir de laquelle il est possible de déduire et de mettre en oeuvre concrètement des conditions initiales de testabilité, donc des tests ; pourquoi devrait-elle être considérée comme dotée d'un pouvoir descriptif universel et "scientifiquement" reconnu s'il s'avère que pour diverses raisons, par exemple, d'ordre matériel (technologique), il est très difficile, sinon impossible de parvenir à reproduire les premiers tests avec une stabilité suffisante pour qu'une répétabilité et un contrôle intersubjectif de ces tests garantissent le caractère non-accidentel et objectif des découvertes réalisées à partir d'eux ?...

Autre problème tout à fait possible : des scientifiques travaillent sur une théorie empiriquement réfutable, mais certains d'entre eux opèrent des manipulations sur les conditions initiales de testabilité afin que les résultats obtenus correspondent au mieux avec ceux escomptés ; bref, ils trichent.

Immédiatement, et sur la base des ces deux premiers problèmes tout à fait plausibles dans le cadre du travail de scientifiques, l'on se rend compte que l'on est obligé d'admettre que ce n'est pas forcément parce que des recherches ont lieu dans un cadre scientifique déjà institutionnellement reconnu, qu'elles ont d'emblée une valeur scientifique. Tout cela pour dire que y compris dans les sciences reconnues, il est évident que les gens qui travaillent peuvent faire de la pseudo-science, peuvent tricher, etc., etc., bref, peuvent ne pas résister à certains moments à l'envie d'ouvrir la boîte de Pandore de tous les maux qui guettent la recherche de la Vérité...

Toutes les étapes d'une recherche scientifique ou d'un programme de recherche scientifique, depuis les premiers engagements ontologiques, les premières conjectures métaphysiques, jusqu'au tout derniers tests les plus riches en contenu, et donnant lieu aux corroborations ou aux réfutations les mieux testées, doivent pouvoir être ouvertes à la discussion critique, à une évaluation épistémologique constante et surtout collégiale, concertée,  laquelle peut être susceptible de remettre tout en questions ou une partie seulement d'un programme de recherche sur la sellette quant à sa valeur objective, sa pertinence, sa scientificité, etc.

Il faut qu'une réfutation (ou une corroboration) puisse être démontrée comme étant notamment non accidentelle, et par conséquent que les tests ayant permis d'y aboutir puissent être reproduits, selon les mêmes conditions initiales, par d'autres scientifiques. Car la science ne peut bien sûr pas du tout fonder la connaissance qu'elle corrobore sur "l'accidentel". 

Mais la réfutabilité méthodologique doit aussi concerner l'attitude sociologique des scientifiques vis-à-vis de leurs propres théories. Par exemple : acceptent-ils de les soumettre à des tests ? Ou encore : utilisent-ils des stratagèmes d'immunisation, des procédures ad hoc (...), des hypothèses ad hoc (Voir Imre Lakatos dans "Histoire et méthodologie des sciences") ? Ou bien encore : comment décident-ils de l'acceptabilité d'une réfutation ou d'une corroboration ; c'est-à-dire : existe-t-il des modalités ou des critères d'une valeur objective éprouvée sur la base desquels les scientifiques décident de fonder la "décision méthodologique" (K. Popper, LDS) d'accepter ou de rejeter les résultats de tests scientifiques (car, tout repose, in fine, sur ces décisions méthodologiques) ? Etc.



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Il y a encore quelque chose d'essentiel à retenir : comme nous l'avons dit précédemment, c'est qu'à partir de la deuxième étape, rien ne peut être empiriquement certain et définitif, là encore à cause du fameux problème indépassable de la définition de mesures parfaitement précises (Karl Popper démontre aussi très clairement ce problème de la précision des mesures dans "La logique de la découverte scientifique").

En conclusion, aucune activité scientifique authentique ne peut ni ne pourra jamais assurer en totalité et définitivement que les résultats obtenus par une recherche reconnue comme "scientifique", (les corroborations ou les réfutations successives),  garantissent l'accès "parfait" ou "certain" à l'objectivité et au non-accidentel. Pourquoi ? 

Parce que les résultats scientifiques, aussi outillés et honnêtement contrôlés qu'ils puissent être sont et seront (...) toujours des résultats relatifs. Et relatifs à quoi ? Ils sont (et seront toujours) évidement relatifs à l'imprécision de toute mesure nécessaire à tout type de tests, ce qui veut dire que tous les tests "scientifiques" sont dépendants de l'imprécision des mesures effectuées, imprécision dont nous pouvons paradoxalement être sûrs et certains qu'elle sera toujours présente dans la recherche scientifique : il est certain que la vraie science sera toujours incertaine...

Dans tout l'ensemble que contient cette part d'imprécision, se trouve nécessairement tout "l'indéterminisme". Et dans cet ensemble d'indéterminisme, il n'est pas interdit par la logique d'envisager deux autres sous ensembles :

1. Un sous-ensemble contenant ce qui est toujours potentiellement connaissable, (sans que nous puissions ni prédire ni savoir en totalité dans quelle mesure ce sera connaissable). Donc ce qui contient l'inconnu et qui est peut-être (...) agissant sans qu'on le sache dans les tests, et qui influence les résultats scientifiques connus...

2. Un sous-ensemble contenant ce qui restera toujours inconnaissable, ou totalement inaccessible à la connaissance humaine. Donc ce qui contient aussi cette autre part d'inconnu et possiblement agissante dans les résultats scientifiques, mais que nous ne pourront jamais maîtriser ni même seulement savoir comment approcher par la formulation de quelle conjecture ? (Quoiqu'il ne s'agisse pas évidement du néant).

Mais dans ces deux sous-ensembles logiquement possibles, ni l'imprécision, ni le hasard ne peuvent être exclus, car nous ne saurons jamais comment les exclure en totalité. Ce savoir restera pour toujours hors de portée de l'humain, quel qu'il soit. Et nous ne pourrons bien sûr pas davantage savoir quelle part de hasard, quelle part d'imprécision sont agissantes dans quel type de test.




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Première étape :

Formulation d'une théorie universelle stricte en guise d'hypothèse, ou affirmation universelle (stricte) déjà corroborée par des tests antérieurs. (Dans le premier cas, on souhaite savoir si cette hypothèse à un contenu se rapportant à des faits réels, et dans le second, on souhaite en augmenter son contenu empirique, descriptif, déjà connu par la communauté scientifique).

En effet, ni la science, ni même la connaissance en général, ne débutent par l'observation, car il est impossible qu'une observation soit réalisable, à partir de rien, "ex nihilo", "pure des faits", ou à partir d'un esprit vide, qui n'aurait aucun préjugé, aucun vécu préalable quel qu'il soit, a priori

Ce sont les préjugés, les connaissances d'ordres très divers des scientifiques, parmi lesquels, évidemment, se trouve la connaissance de toute la tradition de recherche dans laquelle ils travaillent et dont ils souhaitent augmenter le savoir qui permettent la créativité, l'imagination, l'émergence d'une hypothèse inédite. Ce qui veut dire que la nouveauté, la créativité, le génie même des scientifiques ne peuvent exister ou se concevoir à "partir de rien", à cela, il y a une impossibilité logique indiscutable.

Il est par ailleurs logiquement impossible de connaître en totalité les déterminants de l'émergence de la créativité scientifique, d'un point de vue cognitif. C'est-à-dire qu'il n'existe pas, et qu'il n'existera jamais aucune connaissance d'aucun type qui permettra de prédire comment une nouvelle hypothèse va venir à l'esprit d'un ou plusieurs scientifiques

Aucune psychologie, aucune science n'a ce pouvoir, et ne pourra jamais le posséder. Pourquoi ? 

Parce que la solution à un tel problème qui concerne aussi celle du problème (insoluble en totalité) de l'heuristique, (comment faire pour découvrir, sans coup férir, les bonnes hypothèses aux problèmes et leurs solutions), exigerait la connaissance, non seulement d'un nombre infini donc incalculable de conditions initiales en tous genres, enchevêtrées entre elles et déterminantes dans l'émergence de la créativité cognitive scientifique (et pas seulement cognitives), ce qui est déjà logiquement impossible ; mais de surcroît, la nécessité de se référer "à la précision des mesures possibles à partir desquelles peuvent se calculer les conditions initiales" (K. Popper, in "L'univers irrésolu. Plaidoyer pour l'indéterminisme", éditions Hermann, Paris1984, page : 11). Or, le problème de la définition d'une mesure parfaitement précise, est également logiquement impossible. (K. Popper, in "La logique de la découverte scientifique", éditions Payot, Paris 1973, section 37, page : 124). 

A partir des points précédents, l'on peut affirmer, sur la base d'arguments indiscutables, qu'il ne peut  exister aucune connaissance sur la psychologie humaine qui puisse permettre de prédire en excluant toute possibilité d'erreur, ou par exemple tout hasard, et tout non-sens (...) l'évolution du savoir scientifique de l'humanité. Personne ne peut prédire avec toute l'exactitude qu'il le souhaiterait le devenir de la connaissance scientifique, et même de la connaissance humaine en général. Parce que personne ne possède ni ne possèdera jamais le pouvoir d'éliminer en totalité l'imprécision, ni même de connaître avec une exactitude absolue où se situe, empiriquement, la frontière entre ce qui relève de l'imprécision et ce qui appartient au hasard...


*

Voici donc maintenant un exemple général et résumé de la méthode scientifique :

    Exemple : (E) : "tous les cygnes sont blancs".

Deuxième étape : mise en évidence de la base empirique de cet énoncé universel, donc de ses deux sous-classes (infinies) d'énoncés particuliers : 

    - sous-classe (a) des énoncés singuliers "permis" par la théorie ; exemple d'un de ces énoncés : "il y a, à l'endroit k, un cygne blanc qui pourrait être observé selon certaines conditions ?"

    - sous-classe (b) des énoncés singuliers "interdits" par la théorie ; exemple d'un de ces énoncés : "il y a, à l'endroit k, un cygne non-blanc qui pourrait être observé selon certaines conditions ?" 

Troisième étape : seule la sous-classe (b) des énoncés "interdits" est susceptible de fournir une information sur le contenu empirique de (E). Cette sous-classe contient donc les "falsificateurs virtuels" (ou potentiels) de (E).

Quatrième étape : soumettre à des tests l'un des énoncés singuliers de (b), et selon certaines conditions initiales d'observation, lesquelles sont aussi des énoncés singuliers, mais qui doivent être non problématiques au moment du test ; c'est-à-dire que la connaissance scientifique à leur sujet est jugée comme suffisamment corroborée (jusqu'à preuve du contraire..) pour permettre des tests sur d'autres hypothèses.

    - si l'énoncé particulier, déduit de (b), comme par exemple : "il y a un cygne noir, observable à tel endroit", est observé selon certaines conditions initiales, donc s'il cet l'énoncé singulier testé, est confirmé, alors, (E) est réfutée par l'expérience, et l'on apprend quelque chose de nouveau : l'on sait désormais que : 

     (E) : "tous les cygnes peuvent être blancs ou bien noirs" (sachant qu'avant le test, la seconde condition était empiriquement inconnue).

    - si l'énoncé particulier précédent, ("il y a un cygne noir à l'endroit k") et qui était testé pour mettre à l'épreuve le contenu empirique donc descriptif de (E), n'est toujours pas observable selon les mêmes conditions répétables et contrôlables de manière intersubjective, alors cet énoncé est infirmé, et (E) est corroborée par l'expérience, corroboration qui permet aussi d'apprendre quelque chose de nouveau : l'on sait désormais que :

      (E) : "tous les cygnes sont blancs, mais ne peuvent pas être noirs" (sachant qu'avant le tests, l'on ignorait cette impossibilité pour les cygnes, d'être noirs).




*            *


Après tout, l'Amour (de la Vérité, ou "l'Amour tout court"), c'est une quête à peu près semblable à celle de la Vérité scientifique, non ?... Nous parlons de la Vérité (absolue), idée métaphysique, inaccessible comme l'Etoile, et poutant qui brille au loin (...), indispensable pour poursuivre la quête. Une "Quête inachevée" comme l'écrivit encore Karl Popper. 

Mais écoutons Jacques Brel : 





.. Mais, gardons-nous de la passion. Elle peut détruire l'Amour, et donc aussi la recherche de la Vérité scientifique. Aimons vraiment, humblement, avec courage et honnêteté, et sans mensonge, aucun. Aimons nos objets de recherche, notre travail, nos pairs, et nos critiques. 

Face aux critiques soyons toujours forts et tendres
écoutons-les. 

La Vérité ne se décrète pas en élevant la voix, ou avec "des coups de poings sur la table"... La recherche honnête et courageuse de la Vérité, consiste au contraire, à toujours accepter le risque de prendre des coups.

Mais face à nos propres erreurs, soyons impitoyables avec nous-mêmes, et avec nos théories, si nous voulons toujours pouvoir nous regarder en face, et si nous voulons continuer d'avoir le droit de prononcer encore ce mot : Vérité.

"Seule la Vérité fonde l'individu" (Patrice Van den Reysen). 

Dès lors, la connaissance de soi, et d'autrui, sont elles aussi des "quêtes à jamais inachevées".


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Mon roman, "HOAG, un témoignage du futur":
















 

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